Willi Smith lance sa première collection sous le label WilliWear en 1976, à une époque où la mode reste cloisonnée entre haute couture et prêt-à-porter traditionnel. Les frontières entre élégance et accessibilité semblent alors immuables, pourtant ses créations brouillent les pistes.
Son approche modulaire, pensée pour la rue et la vie quotidienne, contraste avec les standards dominants et attire rapidement l’attention de milieux artistiques variés. Les collaborations inattendues et le choix de matériaux peu conventionnels installent Willi Smith comme une figure à part, bien avant l’émergence du terme streetwear dans l’industrie.
Plan de l'article
Le streetwear, un mouvement né de la rue et des révolutions culturelles
Le streetwear n’a jamais germé dans les ateliers feutrés des grandes maisons. Il est le fruit brut des trottoirs, le résultat d’un brassage permanent entre cultures populaires, mouvements artistiques et affirmations identitaires. Porter du streetwear, c’est affirmer sa place, son appartenance à un collectif, tout en revendiquant le confort et la liberté de chaque geste. Skateurs, passionnés de hip-hop, jeunes créatifs en marge des normes : chacun s’est emparé de ce vestiaire pour en faire un manifeste à part entière.
Pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, il suffit d’observer la trajectoire de certaines marques devenues des repères dans la culture urbaine :
- Supreme, qui transforme chaque drop en événement mondial,
- Nike et Adidas, moteurs d’une révolution où la sneaker devient un totem,
- Des griffes qui fédèrent des communautés et imposent leurs codes jusqu’aux podiums les plus suivis.
Impossible de parler de streetwear sans évoquer la sneaker culture. La basket, autrefois simple accessoire sportif, s’est muée en objet de culte. Les Jordan, par exemple, ont bouleversé la mode urbaine, fédérant amateurs de sneakers et skateurs, donnant naissance à un marché de la revente marqué par la quête de la rareté et de l’exclusivité. Chaque paire raconte sa propre histoire, transforme l’achat en rituel, la possession en signe d’appartenance.
Dans cet univers, la rue impose ses propres règles. Les créateurs multiplient les collaborations, croisent art, musique et mode, détournent logos et références. Plus question de séparation nette entre luxe et quotidien : la mode quitte les podiums pour s’inventer sur le bitume, là où chaque détail compte et raconte une prise de position.
Willi Smith : pourquoi son nom résonne-t-il comme celui d’un précurseur ?
Au fil de la décennie 1970, Willi Smith s’impose dans le paysage comme un créateur qui refuse d’entrer dans les cases. Diplômé de la Parsons School of Design, ce styliste afro-américain ne s’encombre pas des frontières élitistes : il imagine une mode qui parle à tous, sans distinction de genre, de couleur ou de morphologie. En 1976, il fonde WilliWear avec Laurie Mallet, avec une idée simple et directe : offrir des vêtements accessibles, adaptés à la vie urbaine, et qui célèbrent la diversité réelle des rues.
Smith ne limite jamais sa démarche à la mode pure. Il invite plasticiens, danseurs, chorégraphes à collaborer, brouillant constamment la frontière entre vêtement, art et culture de la ville. WilliWear se transforme vite en laboratoire créatif, où chaque collection respire l’énergie citadine, s’inspire du rythme de Paris, New York ou Lagos. Ici, la diversité n’est pas une stratégie marketing. Elle s’incarne, dans les choix de tissus, dans les visuels, dans le casting des défilés.
La disparition soudaine de Willi Smith en 1987, alors qu’il n’a pas quarante ans, n’a pas effacé son empreinte. Au contraire : sa capacité à saisir les mutations sociales, à traduire dans chaque pièce un souffle collectif et inclusif, en fait une référence majeure pour toute une génération de créateurs. Aujourd’hui encore, beaucoup puisent dans son héritage pour écrire de nouveaux chapitres à la mode urbaine.
Des créations audacieuses qui ont redéfini l’allure urbaine
Au début des années 1980, Willi Smith provoque un électrochoc avec la collection Street Couture. Pour la première fois, la rue entre dans la mode et la mode s’invite dans la rue. Les conventions explosent, et l’allure urbaine prend un tout autre visage. Voici quelques éléments qui illustrent ce bouleversement :
- Des coupes larges qui libèrent le mouvement,
- Des matières faciles à porter au quotidien,
- Des motifs éclatants qui s’imposent dans la ville,
- Des silhouettes qui cassent les codes établis.
Smith ne cherche jamais à séduire une élite ; il interroge la ville, capte ses impulsions, fait du vêtement un langage partagé. En 1983, il s’entoure de James Wines et du curateur Cunningham Cameron pour une collection qui fusionne mode, art et musique, une initiative qui, bien plus tard, sera saluée comme un manifeste au Cooper Hewitt. Les collaborations se multiplient alors :
- Keith Haring, dont les illustrations électrisent les tissus,
- Juan Downey et Nam June Paik, figures majeures de l’art contemporain, qui participent à cette effervescence,
- Billy T. Jones et Dianne McIntyre, chorégraphes qui réinventent la notion même de défilé.
Mais l’exploration de Smith ne s’arrête pas au style. Il voit dans le vêtement un outil d’émancipation, un terrain d’expérimentation sociale. On est loin des vitrines figées de la haute couture : chaque collection traduit un souffle, une diversité vécue au quotidien, depuis la conception jusqu’aux campagnes. L’exposition « Willi Smith : Street Couture » en 2020, portée par Gucci et Target, vient saluer cette aventure pionnière. Impossible d’imaginer la mode urbaine actuelle sans ce précédent qui a ouvert la voie à tant d’audaces et de croisements créatifs.
L’héritage Willi Smith : influences et inspirations dans le streetwear d’aujourd’hui
L’impact de Willi Smith déborde le cadre de sa propre époque. Sa vision, ancrée dans la liberté et l’inclusivité, irrigue aujourd’hui encore la création mondiale et façonne l’esprit du streetwear. Les grandes marques comme Supreme, Nike, Adidas ou Tommy Hilfiger reprennent à leur compte ce désir de décloisonner, d’ouvrir la mode à tous. Chez Off-White avec Virgil Abloh, chez Adidas puis Louis Vuitton avec Pharrell Williams, l’inspiration Smith est revendiquée : un vêtement qui traverse les genres, relie les générations, s’inspire de la rue et la célèbre.
L’écho de Smith se fait sentir au-delà des choix de coupe ou de matières. Il infuse la volonté de dépasser les barrières, de mêler luxe et culture populaire, de multiplier les passerelles entre mode, musique et art. Les collaborations, devenues la norme dans l’industrie, prolongent une dynamique que WilliWear avait déjà posée dans les années 1980. Et la pop culture s’en empare : des séries comme The Fresh Prince of Bel-Air ou Atlanta, des films tels que Do the Right Thing ou La Haine, font du streetwear un véritable langage social.
Sur les tapis rouges comme dans la rue, des figures comme Zendaya, Brad Pitt, Donald Glover s’affichent dans des looks hérités de cette tradition. Aujourd’hui, le streetwear ne se contente plus d’être une tendance : il s’impose comme la colonne vertébrale d’une identité urbaine, créative et mondialisée. L’héritage Willi Smith, loin de se dissoudre, continue d’alimenter l’avant-garde et d’inspirer chaque nouvelle mutation de la mode citadine, preuve qu’un geste visionnaire peut, des décennies plus tard, changer durablement la silhouette des villes.


