60 % : c’est la part des jeans vendus dans le monde qui sortent d’usines d’Asie du Sud-Est, selon un rapport de l’Organisation internationale du travail. Derrière ce chiffre, une réalité : la production s’appuie sur une myriade de sous-traitants, souvent à l’écart des radars. Les contrôles réglementaires y perdent leur force, laissant place à une opacité tenace.
Fabriquer des jeans à grande échelle n’a rien d’anodin. L’industrie engloutit des quantités d’eau vertigineuses, utilise une chimie agressive, et produit des déchets à la pelle. Ouvriers comme écosystèmes paient le prix fort, mais cette addition, rarement comptabilisée, ne transparaît jamais sur l’étiquette.
Plan de l'article
Pourquoi l’Asie est devenue le cœur mondial de la fabrication des jeans
Le choix de l’Asie pour la fabrication des jeans n’a rien d’un hasard. Les marques internationales y trouvent bien plus qu’un coût du travail bas. L’Asie, c’est une puissance industrielle rodée, des ports connectés, des chaînes logistiques qui tournent à plein régime. Ajoutez à cela une main-d’œuvre abondante, et le cocktail est prêt : la production de denim s’y concentre naturellement.
Des usines du Bangladesh au Vietnam, de la Chine au Pakistan, l’industrie textile traite des masses de coton importées du monde entier. La région s’appuie sur une culture de coton intensive, bon marché, qui répond aux exigences redoutables de la supply chain mondiale. Les grandes marques, Levi Strauss en tête, orchestrent un ballet industriel où chaque étape, tissage, teinture, coupe, assemblage, s’enchaîne sans relâche.
Voici les principaux leviers qui attirent les géants du secteur :
- Coût du travail faible et souplesse dans l’organisation des horaires
- Proximité immédiate des champs de coton et des axes d’exportation maritime
- Savoir-faire technique bâti au fil de décennies d’industrialisation textile
La demande mondiale dicte sa loi : il faut produire vite, à moindre coût, quitte à rogner sur la qualité de vie des ouvriers. L’Asie du Sud-Est règne désormais sur plus de 60 % de la production de jeans mondiale. Un leadership forgé par l’accès direct aux matières premières, la maîtrise industrielle et une capacité à absorber les fluctuations d’un marché en perpétuelle tension.
Entre pollution et gaspillage : l’empreinte environnementale du denim asiatique
Au fil de la fabrication du denim asiatique, l’impact social et environnemental s’infiltre partout. Il suffit d’un seul jean : près de 7 500 litres d’eau pour le produire, estime l’ADEME. De l’irrigation du coton conventionnel aux traitements finaux, c’est une véritable hémorragie hydrique, dans des régions où la ressource est déjà sous pression.
Les ateliers recourent massivement aux produits chimiques, colorants, phtalates, formaldéhyde, qui, bien souvent, finissent leur course dans les eaux locales, faute de filtrage. Les rivières du Bangladesh ou du sud de la Chine en témoignent : pollution massive, nappes phréatiques saturées de métaux lourds et de substances toxiques issues du délavage ou de la teinture. Les tissus synthétiques, en particulier le polyester, aggravent le phénomène en disséminant microplastiques et polluants persistants.
Plusieurs facteurs pèsent lourdement sur l’environnement :
- Émissions de gaz à effet de serre à chaque maillon du cycle de vie du jean
- Pesticides et engrais intensifs pour le coton génétiquement modifié
- Accumulation de déchets textiles, eaux usées chargées de résidus chimiques : la surproduction laisse des traces durables
La production de denim à grande échelle en Asie révèle ainsi les failles d’un modèle industriel centré sur la vitesse et la quantité. L’industrie textile peine à enrayer la montée de la pollution des eaux et des émissions liées à l’exportation, malgré la multiplication des alertes environnementales.
Conditions de travail : quels enjeux sociaux derrière chaque jean ?
Dans les usines asiatiques spécialisées dans la fabrication de jeans, la cadence s’impose comme une règle non négociable. À Dhaka, Phnom Penh ou ailleurs, la fast fashion imprime son rythme, souvent au détriment des travailleurs. Des milliers d’ouvrières, pour la plupart très jeunes, enchaînent couture, assemblage et finitions sous une pression permanente. Les salaires, dérisoires au regard des standards européens, laissent peu de place à l’amélioration du quotidien.
Rien d’abstrait dans cette réalité. Au Bangladesh, près de quatre millions de personnes vivent du textile. Les semaines dépassent fréquemment soixante heures, sous la menace de licenciements ou de sanctions financières. La sécurité des ateliers, souvent négligée, expose à des accidents, des incendies ou des maladies provoquées par l’usage répété de substances chimiques lors du traitement du denim.
Les principales difficultés rencontrées par la main-d’œuvre sont les suivantes :
- Absence d’une véritable protection sociale
- Pression constante sur les coûts, qui se répercute sur les salaires
- Conditions d’hygiène et de santé insuffisantes dans de nombreux ateliers
L’opacité de la sous-traitance aggrave la situation : les grandes marques délèguent à des intermédiaires locaux, ce qui dilue la responsabilité et complique tout contrôle. Les syndicats, quand ils existent, peinent à se faire entendre. Les droits des travailleurs s’effacent sous la logique d’une industrie globalisée, guidée par la quête du rendement maximal.
Vers une consommation plus responsable : comment agir en tant que consommateur
Face à l’ampleur de l’impact social et environnemental lié à la fabrication des jeans en Asie, chaque consommateur détient un levier d’action. Acheter, c’est appuyer une vision de la production textile, ou la remettre en question. Les choix individuels, multipliés à l’échelle collective, finissent par peser sur la stratégie des marques.
Pour s’orienter dans la jungle des labels et certifications, voici quelques pistes concrètes :
- Privilégier les jeans arborant un label de mode éthique, garant de critères sociaux et environnementaux stricts
- Se tourner vers le coton biologique ou recyclé, moins gourmand en eau et en intrants chimiques
- Prendre en compte l’ensemble du cycle de vie du jean, du champ à la dernière couture
La transparence devient un critère décisif. Il vaut la peine de choisir des fabricants qui détaillent leurs méthodes, de privilégier la seconde main ou le recyclage textile, et de demander des informations sur la provenance des vêtements.
Adopter une mode plus responsable, cela va au-delà de l’achat : prolonger la durée de vie des vêtements, réparer, transformer ou échanger, autant de gestes qui comptent. En France, des plateformes encouragent le suivi du carnet de vie du jean : usure, recyclage, revalorisation. Selon l’Ademe, réutiliser ou recycler un jean, c’est diminuer de façon spectaculaire la pression sur les ressources et les émissions.
La demande venue d’Europe influence directement les pratiques de production en Asie. Exiger de la transparence, mettre la pression sur les grandes enseignes, défendre la dignité humaine : autant de leviers pour amorcer la transformation d’une industrie textile aujourd’hui sous tension. La prochaine fois que vous enfilez un jean, la question reste entière : quelle histoire ce vêtement porte-t-il sur sa toile ?